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Portraits de leader

L'ange gardien des nouveau-nés

21 mai 2009

Josée Beaudoin

Si vous êtes parent d'un enfant né après 1972, vous vous souvenez sûrement qu'au 21e jour de sa vie, vous avez prélevé son urine à partir d'un papier buvard et de tampons absorbants insérés dans sa couche puis retourné le tout dans une enveloppe-réponse au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS). Règle générale, les parents n'ont pas d'échos de cet envoi. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Pour les quelques autres qui viennent malheureusement confirmer la règle, il existe une femme d'exception nommée Christiane Auray-Blais, épaulée par une équipe de cinq personnes formidables et tout aussi passionnées qu'elle.

Officiellement parlant, la biochimiste et professeure est directrice du Programme de dépistage urinaire de maladies métaboliques héréditaires depuis 1972, au Département de pédiatrie du CHUS. Mais quand on voit l'extraordinaire dévouement de la directrice, on a simplement envie de la nommer l'ange gardien des nouveau-nés. Même si les papiers buvards lui arrivent de partout au Québec par dizaines de milliers chaque année, ce ne sont pas des échantillons qu'elle analyse, ce sont des bébés qu'elle examine au point de vue biochimique avec la plus grande bienveillance et la plus solidaire des équipes.

Grâce aux méthodes et à l'expertise que Christiane Auray-Blais a développées, l'analyse de l'urine des nouveau-nés permet le dépistage précoce d'au-delà de 25 maladies métaboliques causées par les protéines et leurs dérivés (les acides aminés et les acides organiques) qui sont mal absorbés ou mal assimilés par l'organisme.

Depuis le début du programme, plus de 2,6 millions de prélèvements urinaires sont parvenus jusqu'au CHUS. Ce qui rend ce nombre encore plus spectaculaire et ce programme unique au monde, c'est que la participation est volontaire et que 90 % des parents québécois y adhèrent.

Le visage d'Annabelle

Au fil des ans, le Programme de dépistage urinaire a permis d'apporter un traitement, une surveillance et un suivi à près de 1800 bébés au Québec. Le 15 mars, l'émission Découverte diffusait un reportage qui s'intitulait à juste titre Un pipi qui sauve la vie. Pour illustrer l'importance du programme, l'équipe de Radio-Canada a choisi de lui donner un visage humain, celui de la petite Annabelle, âgée aujourd'hui d'un an et demi. Si on a pu la voir à la télé si coquine et animée, c'est parce que la vigilance de l'ange gardien a opéré.

Lors de l'analyse du prélèvement urinaire d'Annabelle, une tache plus intense que normale est apparue sur la plaque de chromatographie sur couche mince, une technique qu'a mise au point Christiane Auray-Blais. Après avoir fait quantifier l'acide aminé fautif dans le labo de biochimie génétique, la professeure a vite téléphoné à la mère, Véronique Lafond, pour lui demander de se rendre dans l'un des quatre centres de référence que compte le programme au Québec.

Une diète spéciale faible en protéines, un supplément d'arginine et un médicament pour contrôler le taux d'ammoniac dans son système… voilà ce qui a permis à Annabelle de garder son lait et ce qui lui a évité des troubles cliniques sévères. Un simple pipi… Voilà ce qui lui a fort probablement sauvé la vie.

Plusieurs mois après son premier appel, lorsque Christiane Auray-Blais a de nouveau téléphoné à Véronique Lafond pour savoir si elle accepterait de témoigner dans le reportage, la directrice a demandé à la mère si elle se souvenait d'elle. «Madame Auray-Blais, je n'oublierai jamais votre voix», a répondu la maman.

Osez demander et vous recevrez

Si le Programme de dépistage urinaire permet d'heureux dénouements pour plusieurs enfants, son succès permet aussi à Christiane Auray-Blais de pousser ses recherches plus loin pour trouver de nouveaux biomarqueurs révélateurs de maladies rares et pour étudier les maladies reliées à la prématurité et au diabète gestationnel, notamment.

Principale investigatrice d'un projet de recherche de 750 000 $ avec la compagnie Genzyme et les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), la scientifique contribue très activement au développement des connaissances sur la maladie de Fabry, un trouble héréditaire relié au chromosome X, qui peut affecter autant les hommes que les femmes avec une grande variabilité au niveau des manifestations cliniques. La renommée de la professeure Auray-Blais dans le domaine est telle que, désormais, les demandes d'analyse visant à détecter cette maladie proviennent de partout sur la planète.

Fière adepte du «qui ne risque rien n'a rien», la chercheuse a l'audace de ses ambitions et des appareils à la fine pointe pour le prouver. En 2004, elle a fait valoir à son employeur tout le bien-fondé d'acquérir un spectromètre de masse pour effectuer des analyses d'urine et de sang avec beaucoup plus d'acuité. En 2005, la Fondation du CHUS acquérait le Quattro Micro de Waters, faisant du CHUS le premier centre hospitalier universitaire au Québec à utiliser cette technologie en milieu clinique.

En 2007, lorsque Christiane Auray-Blais a demandé à la compagnie Waters de lui «prêter pour cinq ans» un spectromètre de masse d'une valeur de 1,1 M$, plusieurs ont cru qu'elle poussait sa chance. Toutefois, le 29 octobre 2008, on annonçait en conférence de presse que Waters Corporation faisait don au CHUS d'un appareil Waters ® Synapt MS, la toute dernière génération de spectromètre de masse en temps de vol.

Le souhait de notre leader a été exaucé, pour son plus grand plaisir et celui de son collègue René Gagnon, qu'elle surnomme son chimiste préféré. Toutefois, la chance n'y est pour rien. Le cœur qu'elle met dans son travail et la qualité des relations qu'elle réussit à établir avec ses partenaires font en sorte qu'on lui donnerait la lune.

Le jour où le fameux spectromètre est arrivé au CHUS, Christiane Auray-Blais n'était ni la directrice du Programme de dépistage urinaire, ni la titulaire d'une maîtrise en droit de la santé, ni la docteure en radiobiologie qui a remporté en 2008 le Prix de la meilleure thèse de doctorat dans son domaine au Québec, ni la chercheuse qui a réalisé des études postdoctorales à l'Université Duke en Caroline du Nord, ni l'auteure de plus de 100 publications et résumés, dont un article dans le réputé magazine Science. Le jour où le fameux spectromètre est arrivé au CHUS, Christiane Auray-Blais était tout simplement une fillette devant son cadeau de Noël.

Pourquoi chercher ailleurs?

Des offres pour aller faire des recherches scientifiques ailleurs, Christiane Auray-Blais en a reçu plusieurs, mais elle demeure fidèle à son alma mater et à la qualité de vie que lui apporte l'Estrie et son lopin de paradis de 200 acres, entre Saint-Malo et Sainte-Edwidge. Est-ce l'air de la campagne qui lui confère sa fraîcheur et sa simplicité? Chose certaine, cette femme qu'un collègue a déjà comparée à la super-héroïne Wonder Woman est assurément douée d'une gentillesse surnaturelle.